Hausse des infections dans les hôpitaux , des chiffres qui inquiètent

Les maladies nosocomiales ont augmenté de plus de 60% en 2020, principalement à cause du Covid-19, responsable de 33 541 infections. Des chiffres probablement sous-estimés.

Le Covid-19 est devenu la première infection nosocomiale – contractée au cours d’un séjour dans un établissement de santé – en France. Faut-il s’en inquiéter ? A la lumière des derniers points épidémiologiques de Santé Publique France (SPF), la question mérite d’être posée. En 2020, 5159 signalements de maladies nosocomiales ont été rapportés, dont 60% (3095) concernent spécifiquement des cas de Covid-19 nosocomiaux, indique le rapport du 21 janvier. A eux seuls, les signalements de Covid nosocomiaux réalisés en 2020 représentent presque autant que l’ensemble des signalements des autres maladies nosocomiales constatés en 2018 (3197) et 2019 (3219). 

« Un signalement peut regrouper plusieurs infections, rappelle SPF, contacté par L’Express. Ceux se rapportant spécifiquement au Covid-19 nosocomiaux en 2020 représentent 33 541 cas d’infections contractées à l’hôpital, dans une clinique, un EHPAD, etc. » De quoi illustrer l’importante infectiosité du Sars-CoV-2, mais aussi son impact sur le système de santé, puisque si les infections concernent majoritairement des patients (plus de 20 000 personnes, dont 160 sont décédées), le personnel soignant est également touché (plus de 13 000). Malheureusement, la dynamique se poursuit. Entre le 1er et le 31 janvier 2021, 217 signalements de Covid-19 nosocomiaux ont été rapportés, pour 5544 infections, indique le rapport SPF du 4 février. « Depuis la fin décembre, une nouvelle reprise des signalements de cas groupés de COVID-19 nosocomiaux est observée », confirme l’organisme français. 


Les patients plus souvent contaminés et sources de la contamination

Le cas du centre hospitalier de Dieppe (Seine-Maritime) est particulièrement révélateur. En quelques jours, cet hôpital est devenu l’un des plus gros foyers de Covid-19 en France, avec 187 membres du personnel testés positifs en janvier. Des évènements similaires, quoique de moindre ampleur, ont été rapportés dans toute la France. A Périgueux (Dordogne), 91 personnes ont été testées positives – 69 patients et 22 membres du personnel – dans l’unité de soin de longue durée de l’hôpital et dans l’EHPAD qui lui est rattaché. A La Rochelle (Charente-Maritime), 80 nouveaux cas ont été identifiés à l’hôpital fin janvier. Et à Arras (Pas-de-Calais), 86 soignants du centre hospitalier ont été infectés par le Sars-CoV-2 en deux semaines. Sans oublier les hôpitaux de Compiègne, Le Havre, Niort, etc.  

Depuis janvier 2020, 40% des personnes infectées sont des personnels de santé, contre 60% de patients et visiteurs. En revanche, la maladie a été transmise majoritairement par les patients (56%), puis par les professionnels (35%) et enfin les visiteurs ou la famille (7%). La crainte est double. D’un côté, les patients s’inquiètent d’être contaminés à l’hôpital. De l’autre, les soignants malades doivent arrêter le travail, privant les établissements de santé de main-d’oeuvre alors que les services sont déjà proches de la saturation et au bord de l’épuisement. Des opérations non-Covid, comme des actes de chirurgie, commencent même à être déprogrammées parce que des soignants contaminés sont en quarantaine. Or le variant britannique, qui serait entre 30 et 70% plus contagieux, devrait devenir majoritaire sur le territoire d’ici au 1er mars et provoquer une flambée de l’épidémie dans les semaines suivantes. Sans surprise, les médecins et syndicats tirent la sonnette d’alarme et dénoncent leurs conditions de travail. 


Les contaminations sont « probablement sous estimées »

Et encore, les chiffres concernant les Covid nosocomiaux sont probablement sous-estimés. « Il me semble essentiel de pratiquer plus de tests RT-PCR à l’hôpital, souligne Virginie Courtier Orgogozo, chercheuse en génétique de l’évolution et membre d’Adios Corona, un collectif de chercheurs français engagé dans la vulgarisation des questions scientifiques sur le Sars-CoV-2. Des tests sont prévus lors de l’entrée, mais il faudrait en faire tout au long du séjour afin de mieux estimer les Covid nosocomiaux. « La mise en place des tests salivaires RT- PCR, moins désagréables et plus faciles à réaliser sur place, et tout aussi efficaces, lors de la sortie permettrait également de mieux cerner les infections tout en informant les patients afin qu’ils s’isolent et ne mettent pas en danger leurs proches ou les soignants se rendant à leur domicile. »  

Une analyse partagée par Germain Forestier, professeur d’informatique à l’Université de Haute-Alsace. Selon lui, la multiplication des tests dans les établissements de santé offrirait une vision plus précise de la réalité. Le chercheur s’interroge également sur une récente communication des hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui ont indiqué avoir identifié, en près d’un an, « 1262 cas de contamination de patients à caractère potentiellement nosocomial sur 300 000 patients pris en charge ». Surtout, l’AP-HP précise qu’un cas Covid est considéré comme nosocomial « si le patient, indemne à son admission à l’hôpital, a des signes cliniques ou biologiques de l’infection à partir du quinzième jour d’hospitalisation ». Or la plupart des patients restent moins de deux semaines à l’hôpital. 

« Forcément, cela exclut de nombreux cas, donc les chiffres sont sous-estimés sans que l’on sache dans quelle mesure, souligne le professeur. Pour les personnes qui restent en ambulatoire (une prise en charge de quelques heures sans hospitalisation) ou deux jours ou moins, cela se comprend, car même si elles effectuent un test RT-PCR après leur sortie, elles ne contacteront pas forcément l’hôpital pour l’informer d’un résultat positif, sans compter qu’elles pourraient avoir été contaminées après leur sortie. » Mais pour les patients hospitalisés entre deux et 15 jours ? « La définition « au 15ème jour d’hospitalisation » est surprenante car classiquement, une infection nosocomiale est rapportée si elle est contractée dans un établissement de santé dans un délai de 48h après l’admission, pointe Virginie Courtier Orgogozo. Un délai de 5 à 7 jours pour le Covid-19 me semble plus pertinent. »  

« Et surtout, d’où vient cette définition du 15e jour ?, s’interroge Germain Forestier. Est-ce le fait de l’AP-HP ou est-elle suggérée par Santé Publique France ? ». Interrogé sur ces deux points, SPF répond que « le délai de 48 heures est celui pris en compte dans la définition du caractère nosocomial d’une infection bactérienne ‘classique’ et ne s’applique pas aux virus dont l’incubation est plus longue et plus rarement responsables d’infections nosocomiales. Concernant le signalement, nous laissons les établissements de santé juger du caractère nosocomial certain, probable ou possible de Covid-19 en fonction de la durée d’incubation mais également en fonction du contexte (contact avec un cas, cluster…). » Germain Forestier regrette également que « les données sur les Covid nosocomiaux déclarés via l’outil e-Sin, dédié aux maladies nosocomiales, ne soient pas disponibles en open data (en libre accès), ce qui lui permettrait de faciliter ses analyses et celles des autres chercheurs. Il estime également qu’une déclaration des cas nosocomiaux via la base de données SI-VIC, un système d’information pour le suivi des victimes de situations sanitaires exceptionnelles qui regroupe l’ensemble des informations sur le Covid-19, permettrait de fluidifier les remontées d’informations. 


Des mesures plus strictes pour limiter les cas

En sus d’améliorer les informations concernant le nombre de Covid nosocomiaux, il faudra également mener des enquêtes plus précises pour expliquer les causes de ces infections et leur augmentation ces derniers mois. Certains pointent du doigt l’arrivée du variant britannique. D’autres estiment que l’usure et la fatigue du personnel sont à prendre en compte, ainsi que le manque de moyens pour embaucher ou mettre en place de meilleurs dispositifs de désinfection. Le dernier rapport de SPF pointe de son côté de « multiples hypothèses », dont la découverte fortuite d’un cas : certains patients peuvent arriver à l’hôpital avec une PCR négative mais se révèlent positifs deux jours plus tard, soit parce qu’ils étaient encore en phase d’incubation, soit parce que leur test était un faux négatif. La non-application des mesures barrière est une autre piste, comme le mauvais port du masque des patients et des visiteurs. Les pauses déjeuner du personnel dans des salles vétustes ou mal aérées sont également suspectées, mais également les chambres doubles. 

Des mesures plus strictes pourraient néanmoins être mises en place pour limiter ces contaminations en établissement de santé. « Si tous les personnels de santé disposaient systématiquement d’un masque FFP2, cela constituerait déjà une avancée, pointe le Pr. Yves Buisson, épidémiologiste et président de la cellule Covid-19 de l’Académie nationale de médecine. Les infections nosocomiales sont très importantes et je pense que le personnel soignant fait tout ce qu’il faut pour s’en prémunir, mais ils n’ont pas tous le matériel suffisant : le masque chirurgical est une bonne chose pour la population générale, mais il protège moins efficacement celui qui le porte qu’un FFP2.

« Idéalement, il faut insister sur l’importance de bien porter un masque, puisqu’un espace de 1cm² entre le visage et le masque suffit pour diminuer son efficacité de 60%, tout en rappelant qu’il faut le garder tout le temps, même dans les toilettes des hôpitaux, ajoute Virginie Courtier Orgogozo. Il conviendrait également de former le personnel médical aux dernières informations concernant des modes de transmissions, puisque de nouvelles données indiquent que des interactions de moins de 5 minutes, à des distances de 5 mètres, peuvent conduire à des infections. » Une étude coréenne, publiée dans le Journal of Korean Medical Science, s’est par exemple penchée sur le cas d’un patient positif dans un restaurant disposant d’une climatisation, mais sans fenêtres ni système de ventilation. La personne n’était pas encore au courant qu’elle était positive au Covid-19 lorsqu’elle est entrée dans ce restaurant. Résultat, elle a contaminé deux autres clients, alors qu’ils étaient assis à 5 et 6,5 mètres, images de vidéosurveillance à l’appui. Plus inquiétant encore, ces derniers ne sont restés respectivement que 21 minutes et 5 minutes dans la même pièce que le porteur.  

Outre le renforcement des mesures barrière, le rapport SPF suggère également l’installation autant que possible de « secteurs Covid », des zones dédiées aux patients contaminés, dans tous les établissements de santé, ainsi que « la mise en place de précautions complémentaires », comme des systèmes de filtration d’air. Des mesures qui demandent, là encore, plus de moyens. 

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