Présidentielle : pourquoi franceinfo se focalise sur la crise de l’hôpital public

Endettement, fuite du personnel, conditions de travail… L’hôpital public fait face à une crise sans précédent, exacerbée par deux années de pandémie liée au Covid-19.

La crise de l’hôpital public se traduit par une pénurie de soignants. Le syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) estimait en décembre 2021 qu’il manquait 60 000 infirmiers en France. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Cet article fait partie de notre opération « Les focus de franceinfo », qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l’hôpital public, le tabou de la santé mentale et l’empreinte carbone des transports.


Après plus de deux années d’une crise sanitaire inédite, une pénurie de personnel, un plan de sauvetage à près de 20 milliards d’euros, l’hôpital public tente de panser ses plaies. Et les Français en ont conscience : le système de santé apparaît comme le deuxième enjeu majeur de la campagne présidentielle (après le pouvoir d’achat, à 51%) pour près d’un tiers d’entre eux (31%), selon un sondage Ipsos-Sopra Steria pour France Inter, daté de janvier dernier.

A quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, franceinfo inaugure une série de « focus ». Quatre dossiers, composés de reportages et d’analyses, sur des sujets parfois éclipsés du débat public. Voilà pourquoi franceinfo a choisi de se pencher sur la crise de l’hôpital public, au même titre que le coût du logement, le tabou de la santé mentale et l’empreinte carbone des transports.

Pourquoi franceinfo en parle

Pendant les deux années de crise sanitaire, c’est l’hôpital public qui a pris en charge l’immense majorité des patients atteints du Covid-19 (218 000 patients en 2020, soit 85% des malades hospitalisés en raison du virus). Ces longs mois de crise sanitaire et économique ont montré à quel point le système de santé publique et l’hôpital public tenaient une place capitale dans la vie des Français. La pandémie a aussi révélé les faiblesses de l’institution. Deux sondés sur trois estiment que l’hôpital public « est dans une mauvaise situation », selon une enquête Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions, publiée début février.

Les soignants le disent depuis plusieurs années déjà : l’hôpital va mal et il faut le soigner. « Si l’hôpital vacille, c’est tout le système de santé qui se casse la figure ! » alertait Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France, en décembre 2017. En 2019, avant l’émergence du Covid-19, la dette des hôpitaux était évaluée à 29,3 milliards d’euros par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).

En octobre 2021, le ministre de la Santé, Olivier Véran, dévoilait un chiffre accablant : 1 300 infirmiers ont démissionné après « leur premier stage à l’hôpital, en pleine vague épidémique de Covid-19 »« Les soignants expriment une crise de sens, que l’on perçoit dès la formation », précisait quelques mois plus tard à franceinfo Bernard Jomier, sénateur de Paris (apparenté socialiste) et président d’une commission d’enquête sur l’hôpital. « Les écoles d’infirmières sont remplies, mais 20 à 30% arrêtent dès la sortieLes étudiants n’entrent même pas dans la vie professionnelle. »

L’hôpital public peine à attirer de nouvelles recrues. La Fédération hospitalière de France (FHF) évalue le manque de personnel paramédical (infirmiers et aides-soignants) à 25 000 postes. Le syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) estime même qu’il manque 60 000 infirmiers.

Le chiffre : plus de 5 700 lits fermés entre 2019 et 2020

Depuis 2000, plus de 80 000 lits d’hospitalisations dans le public ont été progressivement fermés. Cela représente une baisse de 25% du nombre de lits en vingt ans, qui s’explique, entre autres, par le « virage ambulatoire » pris au milieu des années 2000, grâce aux progrès de la médecine.

Entre 2019 et 2020, cette baisse a toutefois été un peu plus marquée avec plus de 5 700 lits fermés, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). La crise sanitaire a pesé, avec « de nombreuses chambres doubles transformées en chambres simples pour limiter la contagion », ainsi que des déprogrammations massives pour réaffecter les soignants dans des services de soins critiques. Ces lits en moins résultent donc aussi du manque de personnel, médical et non médical.

La question à se poser : pourquoi y a-t-il une pénurie de personnel à l’hôpital public ?

Selon les données de la Drees publiées en 2021 (PDF), sur les conditions de travail des soignants, plus de la moitié du personnel hospitalier déclarait, en 2019, travailler sous pression (51%). Et 57% d’entre eux jugeaient la charge de travail « excessive ». Les soignants dénoncent aussi les horaires décalés, les rappels sur les jours de congés, ainsi que le travail les dimanches et jours fériés. Enfin, 13% avaient le sentiment d’accomplir des tâches qu’ils désapprouvaient. « Les conditions de travail sont indignes, c’est du travail à la chaîne, on se croirait à l’usine. Il n’y a aucune reconnaissanceconfiait en novembre 2021 à franceinfo Andreina Zika, une infirmière qui a quitté l’hôpital public en 2019 pour se mettre à son compte. Je subissais toujours davantage de pression et, un jour, je me suis dit que je n’avais pas envie de tuer quelqu’un à cause de ça. »

La question de la rémunération, au regard de ces conditions de travail, peut aussi expliquer la pénurie. Elle a d’ailleurs été centrale lors du Ségur de la santé, qui a conduit à des revalorisations de salaires âprement négociées.

Qu’en disent les candidats à la présidentielle ?

Les candidats n’accordent pas tous la même importance à la santé dans leur programme, mais tous promettent de transformer l’hôpital public. Voici quelques-unes des principales propositions :

Recruter des milliers de soignants. A droite, Valérie Pécresse propose l’embauche de 25 000 soignants à l’hôpital en cinq ans, quand Eric Zemmour envisage le recrutement de « 40 000 personnels soignants » et Marine Le Pen propose de « recruter en masse des personnels soignants ». Anne Hidalgo souhaite former plus de médecins, sages-femmes, infirmiers, aide-soignants et recruter « 25 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires ». Jean-Luc Mélenchon veut « avoir 100 000 soignants et médecins supplémentaires à l’hôpital », tandis que Yannick Jadot promet « 100 000 infirmiers » supplémentaires en trois ans et Fabien Roussel 100 000 emplois d’infirmiers, aides-soignants, auxiliaires de vie et aides à domicile.

Revaloriser les salaires. Fabien Roussel défend une multiplication par 1,5 voire 2 du salaire des professions essentielles, comme les aides-soignants et les infirmiers. Yannick Jadot propose d’augmenter de 10% le salaire net des infirmiers, comme Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon promet de « revaloriser immédiatement les salaires » des soignants et Eric Zemmour s’engage à « augmenter immédiatement de 12% de la rémunération des aides-soignants et des infirmiers ». Valérie Pécresse entend plutôt aider le personnel en matière de logement, de transports ou de crèches.

Cesser les fermetures de lits ou en créer. Si les recrutements de personnel doivent permettre de limiter les fermetures de lits, certains candidats proposent des mesures spécifiques sur ce point. Marine Le Pen suggère un « moratoire » sur les fermetures, tout comme Philippe Poutou ou Fabien Roussel. Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, eux, promettent d’augmenter le nombre de lits. Jean Lassalle avance un chiffre : « ouvrir 20 000 lits ».

Revoir le financement de l’hôpital. La tarification à l’activité (T2A), qui consiste à rémunérer les hôpitaux en fonction des actes réalisés, doit être abrogée, selon Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen et Fabien Roussel. Anne Hidalgo, Valérie Pécresse et Eric Zemmour se disent, eux, désireux de « modifier » ou « adapter » la T2A, tout comme Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, qui veulent la « réserver » à certains actes.

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