Lors de son interview au JT de France 2, le Premier ministre Michel Barnier a annoncé que la santé mentale deviendrait la grande cause nationale de 2025. Cette déclaration fait écho à une demande de longue date des professionnels du secteur, qui alertent depuis plusieurs années sur l’aggravation des troubles psychiques en France, accentuée par la crise du Covid-19. Avec treize millions de Français touchés par des troubles psychiques et psychiatriques, dont 42 % des jeunes de 18 à 24 ans souffrant de dépression modérée à sévère, selon une étude de l’université de Bordeaux, la nécessité d’une action concrète se fait de plus en plus urgente.
Déstigmatiser les troubles de santé mentale
Le statut de « grande cause nationale » permettrait de bénéficier de campagnes de sensibilisation à la télévision et à la radio, offrant une visibilité importante pour lutter contre la stigmatisation des troubles mentaux. « Cette visibilité pourrait aider à ce que les malades se sentent moins seuls », souligne Charles-Edouard Notredame, psychiatre pour enfants et adolescents au CHU de Lille. Cela pourrait également permettre de briser les tabous autour de la santé mentale et d’encourager un discours plus ouvert et bienveillant.
Investir dans la prévention et l’éducation
Les experts insistent sur la nécessité d’accompagner cette visibilité par des moyens concrets, notamment dans la prévention. « Il faut investir dans l’éducation à la santé psychologique dès l’école », propose Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. La mise en place de programmes éducatifs pourrait non seulement aider à identifier les premiers signes de détresse mentale chez les jeunes, mais aussi à former les enseignants à gérer ces situations.
Répondre à la crise de recrutement dans le secteur psychiatrique
Faire de la santé mentale une grande cause nationale pourrait également jouer un rôle clé dans le recrutement de personnel. Actuellement, 42 % des postes de psychiatres hospitaliers sont vacants, entraînant la fermeture de nombreux lits dans les unités psychiatriques. Cette pénurie se répercute sur les services d’urgence, où des patients en grande souffrance psychologique se retrouvent bloqués ou renvoyés chez eux faute de place.
Antoine Pelissolo souligne que les délais de consultation dans les structures publiques peuvent atteindre plusieurs mois, et même en secteur libéral, de nombreux psychiatres ne prennent plus de nouveaux patients. La reconnaissance nationale de l’importance de la psychiatrie pourrait rendre ce domaine plus attractif et permettre de recruter davantage de soignants.
Améliorer l’attractivité du métier
Cependant, selon les médecins interrogés, recruter plus de psychiatres n’est pas seulement une question de budget, mais aussi d’attractivité du métier. Fayçal Mouaffak, responsable d’un pôle de psychiatrie en Seine-Saint-Denis, témoigne des difficultés à trouver du personnel malgré des financements alloués : « Une nuit de garde à l’hôpital est payée 200 à 250 euros, un montant que la plupart des psychiatres libéraux gagnent en deux consultations. » Le manque d’attractivité lié aux conditions de travail, aux salaires et à la charge émotionnelle intense contribue à la pénurie de personnel.
Former d’autres médecins aux troubles psychiatriques
Pour pallier le manque de psychiatres, Fayçal Mouaffak propose de former davantage les généralistes et les urgentistes aux pathologies psychiatriques. Cela permettrait à ces médecins de prendre en charge les cas les moins graves, désengorgeant ainsi les services de psychiatrie spécialisés. L’objectif serait de répondre aux demandes de soins tout en allégeant la charge des psychiatres, qui pourraient se concentrer sur les cas plus lourds.
Mettre en avant des dispositifs innovants
Faire de la santé mentale une grande cause nationale pourrait également permettre de promouvoir des dispositifs pionniers. Parmi ceux-ci figurent les formations de premiers secours en santé mentale, qui enseignent comment reconnaître les premiers signes de détresse psychologique et intervenir, ou encore VigilanS, un dispositif de suivi des personnes suicidaires.
Un défi face à l’urgence et aux contraintes budgétaires
Le secteur de la santé mentale se trouve dans une situation critique, et les professionnels espèrent que cette initiative du gouvernement Barnier aboutira à des actions concrètes. « Il faut que ce soit suivi d’effets », martèle Marie-José Cortès, présidente du Syndicat des psychiatres hospitaliers (SPH). L’urgence est telle que beaucoup espèrent des avancées rapides, même si la mise en place de réformes efficaces risque de se heurter à la contrainte budgétaire du gouvernement, déjà confronté à la gestion de la dette publique.
La santé mentale comme grande cause nationale pourrait donc marquer un tournant, à condition que cette ambition s’accompagne de financements, de réformes et d’actions concrètes pour améliorer la prise en charge des malades et attirer de nouveaux soignants.