Un doute, une urgence ? Je fais le 15 avant de me déplacer » : les enjeux du nouveau service d’accès aux soins

Comment accéder aux soins 24h sur 24 alors que l’on manque de médecins généralistes en France et que les services d’urgence sont débordés un peu partout sur le territoire ? Réponse du ministère : composez le 15. Lancé en 2018, le SAS, « Service d’accès aux Soins », répond aux besoins non programmés.

L’idée n’est pas toute neuve, mais elle a été remise au goût du jour par la crise subie aux urgences cet été. En juillet-août, plusieurs dizaines de services ont dû fermer, un peu partout sur le territoire, par manque de médecins urgentistes, d’infirmières et d’aides-soignantes. Par manque aussi de lits pour hospitaliser les malades et libérer des places aux urgences afin d’accueillir le flux de nouveaux patients.

Face à cet engorgement très problématique, qui se poursuit en grande partie et se traduit par des heures d’attente et beaucoup d’hospitalisations sur des brancards, le ministre de la Santé a réactivé, de toute urgence, une proposition qui avait été lancée sous l’impulsion d’Agnès Buzyn. En 2018, la ministre avait expérimenté la mise en place d’un « Service d’accès aux soins », baptisé aussi SAS : « Dans le cadre du Pacte de refondation des urgences, rappelle le site internet du ministère, qui a été réaffirmé lors du Ségur de la santé, le Service d’accès aux soins (SAS) est un élément clé du nouveau modèle de prise en charge des patients. Son objectif ? Répondre à la demande de soins vitaux, urgents et non programmés de la population partout et à toute heure, grâce à une chaîne de soins lisible et coordonnée entre les acteurs de santé de l’hôpital et de la ville d’un même territoire. »

Dit autrement, il s’agit d’étendre les horaires du système de « permanence des soins » qui se traduit déjà par un accès aux médecins régulateurs dans les départements de France la nuit, les week-ends et les jours fériés. Désormais, ce système se doit de fonctionner aussi en journée pour garantir ce que le ministère de la Santé nomme, dans son jargon administratif, la « continuité des soins ». Face au manque de disponibilité des médecins traitants, voire à leur absence lorsqu’on habite dans un désert médical, la population ne doit pas se retrouver sans réponse. Le ministère souhaite donc que les médecins de ville d’un territoire donné soient joignables par téléphone, aux côtés des urgentistes de l’hôpital. Ils pourront ainsi orienter les malades vers des maisons de garde, des médecins mobiles comme SOS médecins, ou même prendre un rendez-vous chez un spécialiste si cela s’avère nécessaire. Tout cela, afin d’éviter que la population ne se rende aux urgences sans véritable motif urgent.

Reportage de Tara Schlegel au CHU de Nantes, qui héberge l’un de ces SAS. En vérité la convention SAS n’a pas encore été formellement signée et devrait l’être d’ici la fin de l’année, mais le service fonctionne déjà depuis le printemps 2021 comme un site pilote. Il a reçu l’an dernier 611 048 appels. Au mois de juillet-août 2022 les appels ont même progressé de 20 %, battant le pic de la première vague de Covid-19.

Virginie, assistante de régulation médicale (ARM) au Samu de Nantes, le 7 novembre 2022.
Virginie, assistante de régulation médicale (ARM) au Samu de Nantes, le 7 novembre 2022. 

© Radio France – T.S.

Les ARM décrochent le plus vite possible

Depuis l’été dernier donc, le ministre François Braun – qui a dû faire face à une crise des urgences particulièrement sévère – a lancé une vaste campagne de communication autour du 15, le numéro d’urgence à appeler en cas de problème de santé. Ce numéro sonne au SAMU où décrochent, en tout premier, les ARM – assistants de régulation médicale. Ces ARM doivent évaluer immédiatement s’il y a urgence vitale et, le cas échéant, ils peuvent engager un véhicule du SMUR pour que les secours se rendent sur place au plus vite.

Si l’appel ne paraît pas mettre la vie d’une personne en danger, un second ARM récupère le dossier en attente et pose de nouvelles questions au malade ou à son proche. Il rentre ces informations administratives, tout en évaluant à nouveau le degré d’urgence de l’appel. S’il s’agit d’un problème grave, alors l’ARM passe le relais aux médecins urgentistes régulateurs. Ce sont eux qui pourront donner ensuite un conseil médical, voire, envoyer à leur tour le véhicule SMUR pour une hospitalisation.

Si l’appel, en revanche, n’a pas de caractère urgent, alors il est passé aux médecins généralistes régulateurs qui se trouvent, au CHU de Nantes, dans la même salle que leurs collègues. Les médecins généralistes prodiguent alors des conseils par téléphone et peuvent le cas échéant, prendre un rendez-vous dans les heures, ou les jours qui viennent, pour le malade auprès d’un de leurs confrères. A condition de trouver un créneau disponible…

Cette orientation des appels permet de gérer au mieux les flux, estime le ministère. Mais tous les médecins ne sont pas d’accord. Ils pointent d’abord un criant manque de moyens pour répondre aux appels au 15. Aussi bien du côté des ARM que des médecins. À Nantes, le Dr Joël Jenvrin, responsable médical du SAMU de Loire-Atlantique, est à la recherche de quatre ARM supplémentaires. Son service compte aujourd’hui 48 ARM et il anticipe qu’il faudrait  » augmenter de 30 % le nombre de ces assistants de régulation  » dans les deux à trois ans qui viennent.

100 euros par heure, mais « cela n’est pas suffisant »

Du côté des médecins, les urgentistes sont – comme presque partout en France – en sous-effectif. Tout comme les médecins généralistes qui acceptent de faire de la régulation au SAMU. À Nantes par exemple, sur les 1 300 généralistes du département, seuls une soixantaine se sont engagés dans cette démarche volontaire. Pour le Dr Le Chevalier, qui coordonne les régulateurs libéraux (donc les médecins de ville), les incitations financières notamment sont insuffisantes. Elles s’élèvent à 100 euros par heure de régulation et viennent d’être revalorisées par le ministre François Braun. Sur les 100 euros, il faut savoir « qu’il y a des taxes », précise le docteur Le Chevalier, qui s’élèvent à 50 % parfois même 70 % ! Cela n’est pas suffisant car mes confrères gagnent la même somme en soignant quatre patients par heure, dans leur cabinet avec une clientèle qu’ils connaissent. Au SAMU, nous sommes bien plus sous tension. »

Du côté des ARM et des médecins urgentistes, l’attractivité du métier pose également problème. Les ARM doivent, depuis peu de temps, obtenir un diplôme en un an après le bac pour se former. Ils sont payés 1 800 euros brut par mois, en début de carrière. « C’est un métier méconnu », plaide de son côté le docteur Joël Jenvrin. « Pourtant, il apporte beaucoup de satisfaction, abonde Freddy Fouillet, le cadre qui s’occupe d’organiser le travail des ARM, les gens se sentent utile ».

Parallèlement, les médecins urgentistes, qui font de la régulation mais sont aussi présents « en salle », c’est-à-dire aux urgences, même pour faire des gardes par exemple, ces médecins reçoivent une prime, là encore assez peu élevée. Elle est de 277 euros brut, par nuit ce qui correspond, a calculé le médecin urgentiste Florian Vivrel, environ 18 euros de prime par heure de régulation. Comparé aux indemnités reçues par les médecins généralistes, cela paraît assez injuste, dit en substance ce jeune PHU, praticien hospitalier contractuel, qui travaille depuis plusieurs années déjà aux urgences, et milite par ailleurs à la CGT. Il rappelle que la pénibilité du métier d’urgentiste est très élevée, lorsqu’il exerce son travail  » en nuit profonde ». Au SAMU également, Florian et ses collègues gèrent des appels qui nécessitent une réponse urgente et sont donc particulièrement stressants.

Jusqu’à trois heures d’attente certains week-ends

Les médecins régulateurs libéraux, c’est-à-dire les médecins généralistes qui acceptent de venir réguler au SAMU, sont confrontés à un stress d’une autre nature, mais qui n’en est pas moins très déstabilisant. Ils sont obligés de mettre leurs patients en attente pendant des délais très longs. Si, en moyenne, les médecins généralistes parviennent à décrocher en 13 minutes – c’était le délai moyen enregistré en 2021, détaille le Dr Joël Jenvrin responsable médical du SAMU de Loire Atlantique – en ce moment, le soir et le week-end l’attente peut osciller entre 1h et 3h30 !  Le Dr Julien Le Chevalier se désole de cette réalité et déplore la colère que génèrent ces délais : »nous subissons des insultes parfois, on nous annonce que nous allons avoir des ennuis, qu’on va relever notre nom … »  Mais le tableau n’est pas que noir, nuance le jeune médecin généraliste, qui ajoute que 90 % des appels « se passent bien. On reçoit beaucoup de « mercis » pendant ces conversations et c’est gratifiant ! »

Il n’en demeure pas moins que si l’ensemble des professionnels interrogés sont d’accord sur l’intérêt évident d’une régulation des appels, via le 15, beaucoup estiment aussi que dans les conditions actuelles, le Service d’accès aux soins pose beaucoup de problèmes. Tant qu’il n’y aura pas de moyens suffisants, ce qui veut dire aussi tant que les salaires ne seront pas plus attractifs, affirme la CGT du CHU de Nantes, les délais resteront « indécents ». Olivier Terrien, le secrétaire général de la CGT sur place, assure qu’à force de diffuser des messages, pour inciter les gens à composer le 15 et de les faire « attendre ensuite pendant des heures, eh bien certains se découragent et renoncent au soin. Or parfois, cela peut être extrêmement dangereux s’il s’agit vraiment d’une urgence vitale ».

Le directeur médical du SAMU, Joël Jenvrin tempère, les ARM sont là pour détecter au plus vite les urgences vitales, rappelle-t-il. En moyenne, ils décrochent en 30 secondes, à Nantes.

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