Une quatrième vague différentes des autres

Le bout du tunnel s’éloigne encore un peu plus. Alors qu’en mai et juin, on avait cru que l’épidémie de Covid-19 ne serait bientôt plus qu’un lointain souvenir, le variant Delta est venu doucher les espoirs d’un été sans restrictions. En plus d’être 60 % plus contagieux que le variant Alpha (ou variant britannique), il représente désormais 80 % des nouvelles contaminations en France. Si bien que le taux d’incidence repart à la hausse. Le mardi 20 juillet, 18 000 nouveaux cas ont été recensés, une situation inédite depuis le mois de mai.

Alors le gouvernement s’alarme. « Cela veut dire que nous avons une augmentation de la circulation du virus de l’ordre de 150 % sur une semaine a martelé le ministre de la Santé, Olivier Véran, le jour même. Nous n’avons jamais connu cela avec le Covid-19, ni avec le variant anglais, ni avec le sud-africain, ni avec le brésilien ». Pour autant, 42 % de la population a terminé son cycle de vaccination, et 14 % attendent leur deuxième dose. Une couverture vaccinale qui modifie drastiquement le scénario de cette quatrième vague par rapport aux précédentes.


« ON N’A JAMAIS VU ÇA »

« Sans aucun doute, les cas augmentent vite, ainsi que les admissions à l’hôpital et en réanimation, mais de la même façon que dans les vagues précédentes », tempère l’épidémiologiste Catherine Hill. Pour Jean-Stéphane Dhersin, mathématicien spécialiste en modélisation des épidémies au CNRS, la situation est bel et bien inédite. « Au niveau national, le nombre de cas de variant Delta double tous les six jours : on n’a jamais vu ça depuis le début de la pandémie », explique-t-il. À ce rythme, le nombre de contaminations pourrait ainsi être multiplié par 16 dans moins d’un mois.

Impossible, cependant, de savoir si l’envolée continuera pendant les semaines à venir. « Cela va forcément continuer, et notamment chez les jeunes, même si on ne sait pas à quelle vitesse », prévoit Stéphane Paul, immunologiste au CHU de Saint-Etienne et membre du comité scientifique sur les vaccins Covid-19. Pour l’instant, les contaminations concernent majoritairement les jeunes adultes. Le nombre de décès est d’ailleurs le seul indicateur à ne pas augmenter. D’où la crainte du gouvernement que la hausse ne finisse par s’étendre aux personnes âgées ou fragiles non vaccinées et entraîne une hausse des hospitalisations

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IMPRÉVISIBLE

« Nous avons déjà une augmentation depuis dix jours consécutifs du nombre d’admissions à l’hôpital », a averti Olivier Véran tout en reconnaissant qu’il était encore « difficile d’avoir une vision très claire sur l’impact sanitaire que peut déclencher une vague épidémique dans des pays qui ont déjà vacciné tout ou une partie de la population ». La pression sur l’hôpital reste pour l’instant modérée. Le 20 juillet, Santé Publique France rapportait 253 admissions en soins critiques sur les sept derniers jours contre 191 admissions la semaine précédente. Impossible cependant de savoir si le chiffre est voué à augmenter.

En effet, la vaccination protège largement contre les formes graves de la maladie, et la majorité des personnes les plus à risque ont désormais reçu leur piqûre. Un peu plus de 80 % des plus de 65 ans ont terminé leur cycle de vaccination. Une personne vaccinée a vingt fois moins de risques de développer une forme grave. « Elles ont un risque de décès de 0,05 %, alors que chez les non vaccinés, il est de 0,5 % environ », précise Stéphane Paul. Ce dernier mentionne notamment qu’au Royaume-Uni ou en Israël, où le variant Delta s’est propagé il y a plusieurs semaines, il n’y a pas d’augmentation drastique du nombre de formes sévères. « C’est rassurant, cela veut dire que le vaccin fonctionne bien », estime-t-il. Attention : cela vaut pour les personnes ayant reçu deux doses de vaccins depuis au moins deux semaines.

Reste que certains sont encore vulnérables. « Si on compte ceux ayant contracté le Covid, il y a au moins 20 millions de personnes non protégées en France », explique Catherine Hill, ajoutant que le virus circule désormais grâce aux personnes non vaccinées. Pour Jean-Stéphane Dhersin, « la couverture vaccinale est inégale, il y a des populations dans lesquelles le virus ne rencontre pas de personnes protégées ». « Si toutes ces personnes âgées non vaccinées attrapaient le virus, il y aurait évidemment saturation dans les hôpitaux », analyse à son tour Stéphane Paul. Les personnes développant des formes sévères seraient principalement des non vaccinés. « C’est ce qui se passe au Royaume-Uni », explique Catherine Hill. « Lors des vagues précédentes au Royaume-Uni, à ce niveau de contaminations, il y a avait cinq à six fois plus de cas graves », précise Jean-Stéphane Dhersin. Mais assurer que la dynamique sera semblable en France est impossible.


RISQUE D’UN NOUVEAU VARIANT

Si les prévisions sont aussi incertaines, c’est que la dynamique actuelle se heurte à un grand nombre d’inconnues. « À la vitesse où cela évolue, on ne peut pas savoir ce qui va se passer dans les prochaines semaines, continue Catherine Hill. On a un variant plus contagieux, des personnes protégées, d’autres pas… On ne peut pas savoir si le nombre de cas graves va exploser, mais pour l’instant les arrivées en réanimation augmentent de façon exponentielle ». « Cette vague est très différente, martèle de son côté Jean-Stéphane Dhersin. Avant, on savait à peu près ce qui allait se passer. Si le nombre de cas montait fortement, deux semaines après, on avait un bon nombre d’entrées à l’hôpital, suivie une semaine plus tard d’entrées en réanimation ». Mais la corrélation entre nombre de cas et formes graves de la maladie a changé du fait du taux de vaccination.

Plus encore, face à une augmentation aussi rapide, des mesures de freinage fortes ont été instaurées lors des précédentes vagues. Désormais, pas de confinement ou de couvre-feu à l’horizon : là encore, cela empêche de comparer la suite de la dynamique à celles des mois passés. Autre inconnue : l’évolution de la couverture vaccinale dans les prochaines semaines. Si celle-ci maintient son rythme soutenu, le virus sera davantage freiné. Mais une autre donnée manque : le niveau de transmission des personnes vaccinées. « C’est très difficile à analyser : on détecte parfois chez elles le virus, mais cela ne veut pas forcément dire qu’elles sont contagieuses, la charge virale est beaucoup plus faible », explique le membre du Comité Vaccin. Et de conclure : « Tout cela joue sur les prédictions de cette quatrième vague ».

Deux risques bien connus planent cependant. Celui de voir émerger un nouveau variant, tout d’abord. « Peut-être qu’il y en aura encore d’autres, à leur tour plus contagieux que les précédents », souffle Jean-Stéphane Dhersin. En effet, plus le virus circule, plus le risque est grand. Plus encore, les cas de Covid longs inquiètent – une forme de la maladie encore mal connue, qui semble toucher principalement les publics jeunes. Ainsi, si l’on s’en tient à l’augmentation du nombre de cas, le discours alarmiste du gouvernement est justifié. Pour ce qui est du futur nombre de formes graves de la maladie, en revanche, difficile de se prononcer. Une seule certitude : le ton catastrophiste vise surtout à inciter à la vaccination. Louable ou non, la méthode est pour le moins efficace : plus de 600 000 injections sont en moyenne réalisées chaque jour désormais.

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