Nouvelle technique de soin contre la COVID-19

L’oxygénation extracorporelle sauve des patients en état critique. Cette technique de pointe, aux résultats très variables selon les hôpitaux, doit encore se réorganiser.

Vendredi 30 avril, 12 h 30. Une coordinatrice de l’unité mobile d’assistance circulatoire (Umac) de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, prend l’appel. Au bout du fil, le chef de la réanimation du centre hospitalier de Chartres. Dans son service, une trentenaire, enceinte et infectée par le Covid, a été intubée en urgence durant la nuit. « Son état se dégrade toujours. La seule solution paraît une mise sous Ecmo », argumente le Dr Pierre Kalfon. 

L’Ecmo ? Un acronyme anglais pour extracorporeal membrane oxygenation, oxygénation par membrane extracorporelle en françaisVéritable poumon artificiel, ce système pompe le sang pour en éliminer le CO2 avant de l’oxygéner et de le réinjecter. Un traitement de la dernière chance pour des patients en état critique, aux poumons si abîmés que même la ventilation artificielle devient inefficace. A la Pitié-Salpêtrière, un réanimateur valide le diagnostic du Dr Kalfon. C’est maintenant aux chirurgiens cardiaques d’entrer en scène : la pose de ce dispositif, initialement développé pour les opérations où le coeur doit être stoppé, requiert tout leur savoir-faire.

13 h 15. Gyrophares allumés, sirènes hurlantes, deux motards de la police ouvrent la route pour le chirurgien, Charles Juvin, et le perfusionniste, Pierre-Marie Jego, qui va l’assister et gérer la machine. En moins de quarante-cinq minutes, les clochers de la cathédrale se dessinent à l’horizon. 

14 heures. A peine le temps de faire les présentations et de déballer le matériel. Dans une mécanique bien huilée, le chirurgien prépare la patiente, tandis que son collègue « débulle » la machine pour en éliminer l’air.  

14 h 20. Le Dr Juvin incise la malade à l’aine, au niveau de la veine fémorale. Le perfusionniste lui passe la première canule, un tube en plastique long d’une soixantaine de centimètres. Millimètre après millimètre, le chirurgien le fait remonter dans la veine, jusqu’au coeur. Seconde canule, moitié moins longue. Une incision au niveau du cou, pour l’insérer dans la veine jugulaire. De longs tuyaux, cousus sur la peau, relient les tubes à la machine. L’Ecmo démarre. « Regardez le sang pompé, il est noir, signe d’un manque d’oxygène. Et là, le sang bien rouge qui revient à la patiente », murmure le chirurgien.

Ici, le ralentissement de l’épidémie ne se fait pas encore sentir

15 heures. Les paramètres de la malade s’améliorent. C’est gagné. Une ambulance emmène la jeune femme jusqu’à la Pitié-Salpêtrière, où des spécialistes de l’Ecmo la prendront en charge. Pour combien de temps ? Impossible à dire. « La ‘canulation’ est le début d’un long et difficile voyage, de trois semaines en moyenne, mais qui peut aller jusqu’à trois mois », explique le Pr Alain Combes, chef du service de réanimation de l’hôpital parisien. 

Ici, le ralentissement de l’épidémie ne se fait pas encore vraiment sentir. Les appels à l’aide d’autres établissements, à l’instar de celui de Chartres, continuent d’arriver plusieurs fois par jour, et tous les lits restent occupés, malgré une sélection stricte des malades. « Passé 65-70 ans, nous savons que les patients ne vont pas supporter ce traitement. Et il faut intervenir au bon moment, ni trop tôt, si d’autres moyens moins lourds peuvent suffire, ni trop tard », précise le Pr Combes.  

Pour autant, environ 700 patients, parmi les plus gravement atteints, ont déjà pu bénéficier de ces soins de pointe en Ile-de-France grâce à une organisation innovante. « Nous avons vu très vite que nous allions nous trouver submergés, et que nous ne nous en sortirions pas sans une coordination régionale« , raconte le Dr Guillaume Lebreton. Dès le début de la pandémie, ce chirurgien cardiaque, responsable de l’Umac de la Pitié-Salpêtrière, alors la seule dans la région, lance un audit des machines disponibles. Il contacte les autres centres de chirurgie cardiaque et les services de réanimation susceptibles d’accueillir ces malades. Seize hôpitaux publics et privés sont identifiés, dont cinq débloquent des moyens pour créer des unités mobiles. Ils s’accordent pour une gestion centralisée des implantations : la Pitié reçoit les appels des établissements franciliens et même au-delà, parfois jusqu’à Nevers ou Reims, valide les indications, dispatche les équipes mobiles, puis trouve des lits pour les malades.  

De 40% à 76% de survie selon les services

L’expérience francilienne vient d’être publiée dans le Lancet Respiratory Medicine. Elle inspire aussi une réorganisation de cette médecine de pointe à l’échelle nationale, que le ministère de la Santé vient de lancer. Car l’Ecmo et les Umac ne sont actuellement pas régulées alors qu’elles s’avèrent indispensables, y compris hors crise sanitaire, pour les défaillances cardiaques ou respiratoires sévères. Aujourd’hui, il n’existe pas de données nationales sur le nombre de personnes en ayant bénéficié. « Nous avons ouvert un registre à l’occasion de la pandémie, mais il n’est pas exhaustif, car les hôpitaux participent sur la base du volontariat », confirme le chirurgien lillois André Vincentelli, qui le gère pour la Société française de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire. 

Le déploiement des unités mobiles – seule solution pour aller sauver des patients sinon intransportables – reste très inégal selon les régions. « Il n’y a pas de financements dédiés. Tout repose sur la bonne volonté des chirurgiens, des médecins et des perfusionnistes. Certains gros centres se sont organisés, d’autres se déplacent moins faute de moyens », constate le Dr Lebreton. Et, sans régulation, le déploiement des 514 machines d’Ecmo dont dispose le pays, selon un inventaire récent du ministère, s’est fait de façon anarchique. Elles sont à la fois mal réparties (l’Ile-de-France en compte 160, l’Aquitaine 16, par exemple) et éparpillées dans 91 établissements. « Aujourd’hui, toutes les réanimations peuvent acheter une console d’Ecmo. C’est un peu comme si on laissait tous les chirurgiens faire des greffes », résume le Pr Combes.  

Or l’analyse des résultats obtenus lors de la première vague en Ile-de-France (302 malades) a mis en lumière ce que les médecins appellent un « effet centre ». Autrement dit, les patients n’ont pas les mêmes chances de s’en sortir selon les services où ils sont pris en charge. Le taux de survie des malades était en effet de 46 % en moyenne à 90 jours, mais il grimpait à 76 % dans les hôpitaux qui faisaient plus de 30 Ecmo avant la crise, contre 40 % dans les centres moins actifs. En revanche, la même étude montre que les transferts d’un établissement à l’autre de patients sous ecmo grâce à une unité mobile ne nuisent pas aux malades. Selon un document dont L’Express a pu prendre connaissance, le ministère de la Santé incite donc désormais, dans toutes les régions, les hôpitaux à mutualiser leurs ressources pour s’organiser autour de centres experts et d’Umac. « L’activité d’Ecmo exige un volume critique pour être déployée en sécurité », insiste la note. A ce stade, il n’est toutefois pas question d’interdire cette activité aux services qui la pratiquent le moins – politiquement trop sensible. L’espoir serait plutôt qu’une organisation plus rationnelle se mette peu à peu en place. « Mais, pour cela, il faudra que les moyens suivent, notamment pour les unités mobiles », note le Dr Pierre-Emmanuel Falcoz, chirurgien thoracique à Strasbourg. 

« L’expérience fait la différence, car elle permet souvent de repérer plus vite les complications », résume le Pr Combes. Dans son service, ce jour-là, il faut changer la machine d’un malade, car des caillots s’y forment. « Le patient ne peut être débranché qu’une poignée de secondes, au risque sinon de provoquer un arrêt cardiaque », indique le Dr Guillaume Hekimian, le réanimateur chargé de la visite médicale. D’autres malades souffrent de surinfections pulmonaires, et le risque infectieux au niveau des canules, qui peut entraîner une septicémie, est toujours présent. Il faut aussi placer régulièrement les patients sur le ventre, un geste rendu plus complexe par les canules et les tuyaux. Par la durée du séjour aussi : au fil du temps, les corps s’abîment, des escarres peuvent apparaître, y compris sur le visage, et y laisser des cicatrices importantes, malgré toutes les précautions prises.  

L’équilibre entre l’oxygénation par membrane extracorporelle et l’air insufflé par le respirateur doit être ajusté en permanence, au rythme de la cicatrisation des poumons, pour tenter de sevrer rapidement les malades de la machine. « C’est très difficile. Depuis la mi-mars, on a l’impression que les patients sont dans un état encore plus grave qu’avant », note Alain Combes. Ceux qui finiront par s’en sortir ne sont pas au bout de leurs peines : « Ils retournent en réanimation classique, puis dans des services de réhabilitation. Beaucoup ne retrouvent pas leur vie d’avant », témoigne Juliette Chommeloux, chef de clinique dans le service. Vivants, mais marqués par l’épreuve traversée.  

Partager cet article