Qu’en est-il de la gestion de la réanimation?

Pour faciliter à l’avenir l’ouverture de lits de réanimation en situation de crise, des solutions existent : formation de tous les élèves infirmiers à cette spécialité, meilleure reconnaissance des soignants, augmentation du nombre de postes d’internes… Mais pour l’instant, malgré les difficultés accentuées par l’épidémie de Covid, les pouvoirs publics continuent de faire la sourde oreille, regrette Nicolas de Prost, médecin à l’hôpital Henri-Mondor et porte-parole du conseil national professionnel de médecine intensive réanimation. 


Le nombre de patients hospitalisés en réanimation pour Covid a dépassé les 6000 lundi. Le pic des contaminations semble être passé, qu’en est-il pour les malades graves ? Qu’anticipez-vous pour les prochaines semaines ? 

La tension reste très forte dans les services de réanimation et, alors que les écoles ont rouvert leurs portes cette semaine et qu’on annonce l’assouplissement d’un certain nombre de mesures dans les jours à venir, les réanimateurs sont inquiets de la dynamique épidémique. Une décrue semble avoir été amorcée depuis une quinzaine de jours mais cela ne se traduit pas encore par une diminution significative du nombre de patients hospitalisés, qu’il s’agisse du nombre total de patients (30 596 le 26 avril) ou surtout du nombre de patients pris en charge en réanimation pour les formes les plus sévères de Covid-19 (6001 à la même date). Au contraire, on observe en fait depuis une dizaine de jours un plateau, que ce soit globalement en France, ou localement en Ile-de-France, où le taux d’incidence reste élevé, supérieur à 400/100 000 habitants. Nous appelons donc à poursuivre l’effort dans le respect des gestes barrière, même si la tentation est grande, avec l’arrivée des beaux jours, de les relâcher !


Cette troisième vague très importante a une nouvelle fois montré à quel point il est difficile d’augmenter le nombre de places en réanimation dans une situation de crise aigüe. Aucune leçon n’a donc été tirée de la première vague ?  

Depuis le début de la pandémie, aucun nouveau lit pérenne de réanimation n’a été ouvert. Pas un seul ! La France dispose habituellement d’environ 5000 lits de réanimation, et pour suivre l’augmentation des besoins liés au Covid, toutes les capacités supplémentaires ont été créées de façon éphémère, par des déprogrammations dans d’autres services, pour libérer des médecins et des infirmiers. Des chirurgiens ont calculé que pour accueillir 8 patients en réanimation pendant un mois, il fallait déprogrammer de 150 à 200 interventions. C’est énorme. L’évaluation des conséquences en termes de santé publique de ces opérations reportées reste à mener, mais elles s’annoncent catastrophiques.  

Pourtant, dans le même temps, quand il s’est agi de déterminer le nombre de futurs médecins formés à la réanimation à partir de la prochaine rentrée universitaire, rien n’a changé. Habituellement, nous avons tous les ans 72 internes en médecine intensive réanimation, et en 2020, juste après la première vague, ce chiffre a été porté à… 74, alors qu’on estime qu’il faudrait en former 150 par an. De la même façon, la question de la reconnaissance de la spécificité du métier d’infirmier de réanimation n’avance pas. C’est incompréhensible, alors même que la crise a montré à quel point les besoins sont importants.  


Hors épidémie de Covid, les services étaient-ils déjà saturés au point de justifier d’augmenter le nombre de places de façon pérenne ?  

Le capacitaire de réanimation, en France, était déjà très limite avant la crise Covid. En moyenne, le taux d’occupation était de 88%, alors qu’il ne faudrait pas dépasser les 80%. Nous devons en effet toujours pouvoir accueillir des malades en état critique. Par exemple, dans un service de dix lits, deux devraient être libres en permanence, pour recevoir le patient qui vient de faire un arrêt cardiaque sur la voie publique, ou celui qui s’aggrave subitement après une opération. Bien sûr, ce taux de 88% est une moyenne. Il existe de grandes disparités régionales et saisonnières. Ainsi, la Bretagne et les Pays de la Loire sont particulièrement sous dotés en places de réanimation, et il est heureux que l’épidémie y ait été moins forte. Tous les hivers, pendant les épidémies de grippe, l’ensemble de nos services connaissent de fortes tensions.  

C’était la toile de fond avant l’épidémie. Mais si rien ne change, la situation va continuer à se détériorer avec le vieillissement de la population. Déjà, nous constatons que le ratio entre le nombre de Français de plus de 60 ans et le nombre de lits de réanimation s’est dégradé, comme la Cour des comptes l’a très bien montré dans son dernier rapport. Difficulté supplémentaire, nos services connaissent par ailleurs un très fort turn-over du personnel infirmier, de 20% en moyenne par an, et parfois jusqu’à 30%. Vous rendez-vous compte de l’impact sur le fonctionnement quotidien des unités ? Il est temps que les pouvoirs publics prennent la mesure de la situation.


Quelles sont vos propositions ?  

Le nerf de la guerre, c’est le personnel infirmier. Dans nos services, il faut une infirmière pour 2,5 patients. Un texte réglementaire l’impose, donc il est impossible d’ouvrir des lits, que ce soit de façon éphémère ou pérenne, sans avoir les effectifs disponibles. Or depuis 2009, il n’y a plus de stage pratique obligatoire en réanimation lors de la formation d’infirmier. C’est un énorme souci. Régulièrement, nous devons faire appel à des personnels d’autres services, comme on l’a vu de façon exacerbée avec cette crise. Il serait donc indispensable qu’ils aient tous un socle de formation qui comprenne de la réanimation. Par ailleurs, un tel stage pourrait donner à certains l’envie de rejoindre nos services.  

Ensuite, nous devons nous demander comment les inciter à rester. C’est une question sur laquelle il est grand temps de se pencher. Les personnels soignant de réanimation disposent de grandes compétences techniques. Ils prennent en charge des patients sous ventilation artificielle, sous dialyse, sous assistance circulatoire. Ils sont aussi amenés à gérer la détresse psychologique des proches car dans ces services nous avons 20 à 30% de décès. Pourtant, toutes ces compétences ne sont ni reconnues, ni valorisées. D’où l’épuisement professionnel et le turn-over que nous constatons.  « Les discussions avec le ministère n’avancent pas, malheureusement »

Pour valoriser ces compétences, il faut offrir des perspectives de carrière. Nous pourrions créer une qualification d’infirmier de réanimation, de la même façon qu’il existe des infirmiers de bloc opératoire ou des infirmiers anesthésistes. Cela pourrait passer par la création d’un master, qui serait très valorisant, et d’une reconnaissance financière. Si cela permet aux infirmiers de rester un peu plus longtemps dans nos services – 5 ou 10 ans au lieu de 3 ans en moyenne aujourd’hui – nous aurons mécaniquement plus de personnel disponible. C’est indispensable, alors que l’épidémie a encore accentué l’épuisement professionnel, et que l’on peut craindre une accélération du turn-over.  


Qu’en est-il des médecins ? La France ne manque pas d’anesthésistes-réanimateurs, et ceux-ci se sont d’ailleurs beaucoup mobilisés pour prendre en charge les patients atteints de Covid…
 

Il existe effectivement deux filières de formation pour accéder à la réanimation : la médecine intensive réanimation et l’anesthésie-réanimation. Les besoins en anesthésistes sont très importants, et la France forme beaucoup de ces professionnels – 473 internes l’an dernier par exemple. Le problème c’est que dans cette filière, il n’y a aucune régulation entre l’exercice futur d’anesthésiste ou de réanimateur. Au final, la grande majorité des médecins vont choisir l’anesthésie plutôt que la réanimation. Alors effectivement, ils peuvent intervenir lors de crises comme celle que nous traversons. Mais cela implique des déprogrammations massives, avec toutes leurs conséquences délétères. Et il ne faut pas oublier, même si c’est un sujet que l’on ne sait pas très bien quantifier, que l’on ne fait bien que ce que l’on fait régulièrement. On imagine mal un chirurgien qui n’aurait pas pratiqué depuis cinq ou dix ans devoir se remettre à opérer des malades. C’est un peu la même chose pour la réanimation.

C’est pourquoi nous demandons un rééquilibrage entre les deux filières. Les deux formations ont des contenus différents. La réanimation médicale, c’est vraiment la discipline spécialisée dans la prise en charge des défaillances d’organes liés à des problèmes médicaux graves ou à des pathologies infectieuses. Il est incompréhensible que l’on n’augmente pas un peu le nombre de postes liés à cette discipline. D’autant qu’une proportion non négligeable des professionnels actuellement en poste se trouvent déjà en deuxième partie de carrière. Il faut préparer l’avenir. Mais pour l’instant, les discussions avec le ministère n’avancent pas,

Partager cet article