Les hôpitaux face à la pression d’une pandémie mondiale

Deux chercheurs en management indiquent, dans un rapport publié ce vendredi, les pistes pour tenter de « mieux préparer les éventuelles prochaines crises sanitaires ».

Malgré une crise sanitaire sans précédents, l’hôpital français « n’a pas craqué sous la pression » : telle est la conclusion d’un rapport, mené par deux spécialistes du management au CNRS et publié ce vendredi. Dans un document de 90 pages, Hervé Dumez et Étienne Minvielle, chercheurs à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation, ont tenté de comprendre comment le système hospitalier a géré la crise, pendant plus de trois mois. 

En interrogeant 55 acteurs liés à la crise, dans « l’ensemble des régions et à tous les niveaux du système », les chercheurs ont tenté de tirer une série d’enseignements, afin de « mieux préparer les éventuelles prochaines crises sanitaires ». Importance du management, initiatives locales, cohésion au sein des territoires… Hervé Dumez et Étienne Minvielle ont accepté de répondre à six questions sur ce rapport. 

Pourquoi avoir décidé de travailler sur un tel rapport ?  

Hervé Dumez. En tant que chercheurs en gestion, cette idée nous est venue assez naturellement. Nous voulions comprendre comment les hôpitaux ont pu gérer une crise aussi considérable, de par son ampleur et son intensité. Nous avons profité de la désescalade de la crise, fin avril, pour interroger une multitude d’acteurs, que ce soit le personnel soignant, les fonctionnaires, les administrations centrales, mais aussi des acteurs plus indirects, comme les industries pharmaceutiques ou les pharmaciens d’officine, qui sont parfois devenus le dernier lien entre patients et corps médical.  

Quelles sont les principales conclusions à retenir de ce rapport ?  

Hervé Dumez. Le plus important reste la gestion de la crise. Malgré de nombreuses angoisses et des situations complexes, la tonalité est assez positive : le système a réussi à tenir. La perception que nous avons est qu’il y a eu un réel équilibre entre l’action centrale de l’État, qui a pris des décisions fondamentales pour le système – comme le confinement, mais aussi la déprogrammation d’opérations en début de crise ou le transfert de patients entre les zones plus ou moins touchées – et les initiatives locales prises dans les hôpitaux.  

D’autre part, cette crise n’aurait pas été la même sans l’implication et la créativité des hôpitaux eux-mêmes, dont la réponse à la crise a été assez impressionnante. On ne dit pas que tout s’est passé dans le meilleur des mondes, évidemment, mais que, sur une crise majeure comme celle-ci, le système hospitalier a été capable de s’adapter d’une manière rapide et pertinente.  

Étienne Minvielle. Un point qui est également très important à retenir est l’anticipation des menaces. De plus en plus, nous serons confrontés à de nouvelles crises, qu’elles soient épidémiologiques ou infectieuses – mais chacune d’entre elles sera inédite. Ce qu’on apprend de la crise précédente est important en termes de réflexes, mais pas en termes de contenu. Par exemple, là, nous avons manqué de masques ; la prochaine fois, ce sera autre chose. La question se pose donc davantage sur la manière d’anticiper les crises, le réflexe d’organisation, et les formes de management à adopter pour s’adapter.  

En quoi les initiatives locales ont-elles participé à cette adaptation ?  

Hervé Dumez. Nous donnons dans ce rapport une importance notable à cette fameuse créativité dont on fait preuve les établissements hospitaliers. Il y a eu la capacité de créer des lits de réanimation très rapidement, faire appel à des retraités ou des étudiants, faire venir du personnel d’un peu partout pour armer les services de réanimation… Il y a des hôpitaux qui ont créé des masques avec des imprimantes 3D, des services entiers qui ont eu une inventivité assez remarquable, y compris venant des personnels techniques.  

Y-a-t-il toutefois quelques points négatifs à retenir de cette crise ?  

Étienne Minvielle. Il y a en effet des points noirs à souligner, à commencer par les masques. Il ressort que le manque de matériel a été extrêmement angoissant pour les professionnels, et nous avons recueilli un certain nombre de critiques sur la manière dont l’État a géré les commandes. Ce qui ressort, de manière générale, sont les difficultés d’approvisionnements, que ce soit pour les masques, mais aussi pour les respirateurs par exemple. 

La catastrophe a été également évitée sur certains médicaments, qui étaient en flux tendu à certains moments de la crise. Là encore, la créativité des personnels a été remarquable : certains hôpitaux ont par exemple fait revenir des médecins anesthésistes-réanimateurs à la retraite, pour expliquer aux plus jeunes comment exercer leur métier sans un certain type de médicament, afin de se préparer à une éventuelle pénurie.  

Il y a également des points plus critiques dans les Ehpad : c’est sans doute l’un des points les plus négatifs de la gestion de cette crise. Certains établissements étaient dotés d’infirmières de nuit, d’autres non… Ce genre d’injustice a été très mal vécu par certains soignants. Mais il ressort malgré tout que l’on a réussi à éviter le pire, avec des initiatives locales d’équipes d’hôpitaux qui venaient prêter main-forte aux Ehpad, par exemple.  

Quels enseignements tirer de ce rapport, afin de mieux préparer les prochaines crises sanitaires?  

Étienne Minvielle. Il faut être très prudent, puisque la crise n’est pas encore terminée, et que chaque crise sanitaire est différente. La question centrale reste en tout cas la gestion de la performance, au sens large, des hôpitaux – que l’on parle de finances, mais aussi de lits, d’équipes… Il faut clairement repenser la place de l’hôpital dans son territoire : réfléchir sur le lien entre l’hôpital et les Ehpad, entre l’hôpital et la médecine de ville, et entre l’hôpital et les pharmacies.  

Il y a également une réflexion à faire sur l’explosion de la télémédecine, dont on pensait depuis des années qu’il fallait qu’elle se développe, mais qui était bloquée par des mécanismes administratifs en tous genres. Quand on interroge les médecins, une grande part indiquent qu’ils souhaitent maintenir ces téléconsultations, qui font clairement partie du futur parcours de soins du patient. 

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