Hommage aux soignants qui ont succombés à l’épidémie

Ils étaient médecin généraliste, gynécologue, dermatologue, aide-soignant, infirmier ou urgentiste. Leurs proches dressent le portrait de ces femmes et ces hommes, emportés par le coronavirus alors qu’ils soignaient les autres.

Mahen, Justine, Sylvain, Kabkéo, Jean-Marie, Lydie, Mohammad, Elisabeth, Jean, Sami, Elena, André… Ils exerçaient à Mulhouse, Compiègne, Châteauroux, Montfermeil, Wassy ou Saint-Maur-des-Fossés en tant que soignants. Le Covid-19 les a emportés alors qu’ils exerçaient leur métier, leur mission.

En première ligne face à la pandémie, ces soignants y ont laissé leur vie, comme des milliers de Français. Leurs proches les racontent avec émotion dans cette galerie de portraits consacrée à ces héros du quotidien que nous mettrons à jour régulièrement.

Jean-Marie, le « Dr Nounours »

Nom: Jean-Marie Boeglé
Âge: 66 ans
Poste: gynécologue-obstétricien
Lieu de travail: Mulhouse (Haut-Rhin)
Date du décès: le 22 mars 2020

Dans le livre de condoléances ouvert par ses proches, quelques mots reviennent souvent pour décrire le Dr Jean-Marie Boeglé, décédé le 22 mars à Dijon : « humain », « généreux », « bienveillant », « rassurant »…

« Beaucoup le surnomment Dr Nounours », résume sa fille Pauline, 33 ans, la voix étranglée par l’émotion. Cet afflux de messages en témoigne, le Dr Boeglé, 66 ans, était très apprécié à Mulhouse, où, aux côtés du Dr Georges-Fabrice Blum, son ami de 35 ans, rencontré sur les bancs de la fac de médecine, il avait fondé la maternité de la clinique Diaconat Fonderie.

Ce gynécologue-obstétricien était « dévoué à ses patientes », insiste le Dr Blum, chef de service de la maternité. « Même sur ses heures de repos, il passait des coups de fil pour suivre l’état de santé de celles qu’il avait opérées », se rappelle sa fille. Plus que le métier en lui-même, c’est « le lien social qu’il pouvait tisser avec ses patientes qui l’animait », assure la trentenaire, qui a pu l’observer, adolescente, lorsqu’elle remplaçait ses secrétaires. « Il recevait tout le temps des cadeaux de remerciements. Du vin, des chocolats et plein d’autres petites attentions », poursuit-elle.

Mélomane – il était le guitariste d’un petit groupe de rock baptisé Globule – et amateur de belles motos, Jean-Marie Boeglé était un « épicurien ». « Il était toujours de bonne humeur et aimait jouir des plaisirs simples de la vie », convient son fils Pierre-Yves, le jumeau de Pauline. Le comble du bonheur ? « Une bonne bière en terrasse », selon sa fille. « Partager un petit repas avec les gens qu’il aimait, autour d’un plat goûteux et de bons vins », pour Pierre-Yves.

C’est son amour des bons crus, « petits ou grands », précise son fils, mais aussi des « vieilles pierres » et du « calme de la campagne », qui l’avait attiré à Lusigny-sur-Ouche (Bourgogne). Là, il avait retapé une bâtisse avec son épouse Jocelyne, en prévision de leurs vieux jours. Une vie paisible qu’il retrouvait le week-end, tout en maintenant ses activités en semaine à Mulhouse. C’est dans sa maison de campagne que les premiers symptômes du Covid-19 sont apparus. « Je l’ai eu au téléphone juste avant son intubation. Les derniers mots qu’il a prononcés étaient : j’aime la vie, je me battrai », raconte le Dr Blum, bouleversé. Jean-Marie Boeglé s’est éteint après une semaine de coma.

Elisabeth, la « joie de vivre » au quotidien

Nom: Elisabeth Adjibodou
Âge: non communiqué
Poste: aide-soignante dans un Ephad
Lieu de travail: Mulhouse (Haut-Rhin)
Date du décès: le 7 avril 2020

Peu importe la musique, elle aimait danser, avec ses collègues comme avec les seniors de son établissement. Aide-soignante au sein de l’Ehpad Korian La Filature, à Mulhouse (Haut-Rhin), Elisabeth Adjibodou est décédée du Covid-19 le 7 avril.

Cette quadragénaire d’origine guinéenne, mariée et mère de trois jeunes enfants, a été frappée en quelques jours par le virus. Jointe par Le Parisien, une infirmière évoque en quelques mots le souvenir de cette « amie », sa « joie de vivre » et sa « bonne humeur » à toute épreuve. Celle que l’on surnommait « Elisa », « Lisa » voire « Eli » était « toujours là » pour rire et « remonter le moral » de ces professionnels au contexte parfois lourd.

Au sein de son service, qu’elle avait intégré il y a une demi-douzaine d’années, cette figure du personnel était une « collègue exceptionnelle », « proche de tout le monde », « dévouée pour son travail » et « très attentionnée avec les résidents ». Ses proches ont ouvert une cagnotte en sa mémoire pour apporter une aide financière à sa famille.

Jacques, médecin urgentiste « de grande renommée »

Nom: Jacques Fribourg
Âge: 68 ans
Poste: médecin urgentiste à la retraite
Lieu de travail: Trappes (Yvelines)
Date du décès: le 25 avril 2020

S’il avait quitté l’hôpital en septembre dernier, Jacques Fribourg ne pouvait envisager d’arrêter sa profession. Ancien urgentiste de Trappes (Yvelines), le jeune retraité de 68 ans avait choisi de s’engager dans la bataille contre le Covid-19 avant de succomber des conséquences de cette maladie.

Au service des urgences de Trappes, ses anciens collègues évoquent, avec le cœur lourd, un homme « très aimé », « consciencieux », « humain et empathique ». Le directeur de l’hôpital privé de l’Ouest parisien où Jacques « a passé l’essentiel de sa carrière » salue pour sa part, un « médecin urgentiste de grande renommée ».

Volontaire et engagé, ce professionnel de santé n’avait jamais réellement quitté le métier. « Il continuait à aider les personnes ayant besoin de soins urgents en tant que bénévole à la régulation du Samu 78 », note encore le directeur de l’hôpital, David Bellencontre. Soucieux de défendre les droits de sa profession, Jacques avait même fondé le Syndicat national des urgentistes de l’hospitalisation privée (SNUHP).

Tous témoignent de son humanité exemplaire. « C’était une personne qui était facilement très aimée des autres donc la tristesse est à la mesure de l’homme qu’il était », confie son ancien confrère, le Dr Vaszary.

Mahen, « le serment d’une vie »

Nom: Mahen Ramloll
Âge: 70 ans
Poste: médecin généraliste
Lieu de travail: Fessenheim (Haut-Rhin)
Date du décès: le 22 mars 2020

Il était hors de question pour le Dr Mahen Ramloll d’envisager la retraite. « Il disait qu’il travaillerait jusqu’à sa mort », souffle son fils Christophe, 39 ans. Et de poursuivre : « Il n’était pas très grand, mais c’était une vraie force de la nature. » Ce que son parcours laisse entrevoir.

Issu d’une famille mauricienne modeste, Mahen Ramloll avait quitté son île natale peu avant ses trente ans pour venir étudier la médecine à Strasbourg. « Sa mère était malade. Il rêvait d’obtenir son diplôme pour la soigner », raconte Christophe. Pour suivre son cursus universitaire, Mahen Ramloll avait pu subvenir à ses besoins grâce à l’entraide de la communauté mauricienne, très implantée à Strasbourg. Mais surtout en travaillant dans un supermarché, en dehors de ses heures de cours.

La médecine était à ses yeux « la passion d’une vie ». « Pour lui, être médecin, c’était soigner l’humain. Il était très fidèle au serment d’Hippocrate », reconnaît Christophe. « C’était un praticien très apprécié de ses patients, bienveillant », loue encore le Dr Taous Duss, médecin généraliste à Fessenheim, avec qui le Dr Ramloll collaborait.

Féru d’anatomie, le Dr Ramloll était « capable de vous dessiner un estomac sur le coin d’une table pour vous expliquer son fonctionnement », sourit son fils. Des talents de pédagogue salués par l’un de ses patients, Fabrice, habitant de Rustenhart (Haut-Rhin). « On sortait [de ses consultations] toujours rassuré, avec le sentiment d’avoir appris quelque chose de fort utile. Nul doute, il chérissait son métier et respectait » ses patients, salue-t-il dans un texte transmis au Parisien.

« Il était très combatif, toujours prêt à aider, décrit le Dr Taous Duss. Il faisait d’ailleurs beaucoup d’astreintes. » C’est vraisemblablement lors de l’une de ses dernières gardes – il a fait hospitaliser plusieurs patients infectés par le coronavirus – que le Dr Ramloll a été contaminé. Il est mort le 22 mars à Colmar.

Kabkéo, une « personnalité harmonieuse et riche »

Nom: Kabkéo Souvanlasy
Âge: 65 ans
Poste: médecin généraliste
Lieu de travail: Sevran (Seine-Saint-Denis)
Date du décès: le 17 avril 2020

En France, au Laos mais aussi aux Etats-Unis, au Canada, en Australie ou encore en Thaïlande, des Laotiens ont illuminé des pagodes bouddhistes week-end dernier en mémoire du Dr Kabkéo Souvanlasy.

Ce médecin de famille, né il y a 65 ans au Laos, exerçait à Sevran depuis 1987. Il a succombé au Covid-19, vendredi 17 avril sur son lit du service réanimation de l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois, où il avait été admis le 16 mars dernier.

« Il a été en première ligne et a été contaminé en examinant des patients qui étaient atteints du Covid-19, relate le Dr Manola Souvanlasy-Abhay, cousine par alliance du défunt qui tient un cabinet à Paris, dans le XIIIe arrondissement. Le 93 a été un département très sévèrement touché par le virus. Son épouse a aussi été contaminée, mais elle va mieux. »

Dans un long texte qu’elle a écrit en guise d’hommage pour qu’il soit diffusé sur une radio laotienne, elle dresse le portrait d’un homme qui avait « une personnalité harmonieuse et riche ».

Jean, « un homme admirable »

Nom : Jean Pouaha
Âge : 58 ans
Poste : dermatologue
Lieu de travail : Thionville et Metz (Moselle)
Date du décès : le 30 mars 2020

Ce brillant dermatologue est né en 1961 à Bana, au Cameroun. Jean Pouaha, qui travaillait sur les sites de Thionville et Metz du CHR et souffrait de lourdes pathologies, est décédé en réanimation à l’hôpital Schuman de Metz. Sur les réseaux sociaux, sa secrétaire a témoigné de sa détresse : « Cela faisait quatre ans que j’étais la secrétaire de Dr Pouaha. Je travaillais avec lui pratiquement tous les jours. Il me manque beaucoup. C’est une grande perte. Je pense beaucoup à son épouse et à ses filles. Rien ne sera plus jamais comme avant dans le service », a commenté la jeune femme en évoquant celui qui est mort le 30 mars à Metz.

L’une de ses patientes, Denise, témoignait aussi du vide qu’il allait laisser. « C’était mon médecin depuis de nombreuses années, un homme admirable et toujours à l’écoute. Il va beaucoup me manquer », raconte la Messine. Un sentiment unanimement partagé par ceux qui le connaissaient. « C’est une grande perte pour la dermatologie, grande perte pour la médecine et les CHR de Metz et Thionville, grande perte pour ses patients, une grande perte pour l’humanisme qu’il représentait », commente un ami sur Facebook.

Ce professeur était aussi « un allié indéfectible dans la lutte contre le VIH », et avait travaillé avec l’association AIDES à Metz, qui lui a rendu un vibrant hommage.

Guy, ce médecin qui « ne voulait pas prendre sa retraite »

Nom : Guy Pfister
Âge : 75 ans
Poste : médecin généraliste
Lieu de travail : Wassy (Haute-Marne)
Date du décès : le 15 avril 2020

Le Dr Pfister était un médecin de campagne « comme on en voit tant », raconte le maire de Wassy (Haute-Marne), Christel Mathieu, encore ému au lendemain du décès de celui qu’il considère comme un ami. Il était de ceux qui étaient « toujours disponibles, toujours là du matin au soir. Il se donnait beaucoup, il était formidable », se souvient le maire de la commune de 3000 habitants.

Guy Pfister laisse derrière lui une épouse, et deux enfants, une fille, et un fils, et quatre petits-enfants.

De Guy, Christel Mathieu retient surtout l’image d’un médecin engagé. Médecin pompier pendant plus de 25 ans, président du club de foot local, chasseur, Guy Pfister était très connu localement et « très apprécié », au-delà des limites de la commune. « Tout le bassin vient se faire soigner à Wassy. Il a fait toute sa carrière ici », se rappelle l’édile.

« D’ailleurs, on essaie de monter, en ce moment, un cabinet médical. Sa construction s’est arrêtée à cause du confinement, mais il voulait être là pour l’inauguration qui aurait dû se faire fin mars. Il avait même mis une option, il voulait faire partie des cinq médecins du cabinet, il ne voulait pas prendre sa retraite ! », s’étonne encore Christel Mathieu.

« C’est triste de le voir mourir de ça, c’est le premier cas dans la commune. On ne sait pas encore comment il va être enterré, mais il n’y a pas plus de cérémonies d’enterrement depuis le début du confinement », déplore le maire de la commune du Grand Est, une région particulièrement touchée par la pandémie.

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